Définir l’islamophobie et ses manifestations politiques après les attentats de « Charlie Hebdo »

Ills.: UK Human Rights Blog

Résumé

Cet article examine les difficultés rencontrées par les définitions contemporaines de l’islamophobie, notamment celle de l’influent rapport Runnymede, face aux réactions des responsables politiques européens aux attentats de janvier 2015 à Paris. L’application de la méthode d’analyse du discours politique (ADP) à ces réactions souligne leur ambiguïté eu égard aux définitions contemporaines de l’islamophobie, et justifie de les affiner.

Mots clés
Islamophobie, rapport Runnymede, attentats de Charlie Hebdo, Union européenne, populisme.

Cet article est la version traduite et condensée de: Bogacki Mariusz, de Ruiter Jan Jaap et Sèze Romain, Defining Islamophobia and its socio-political applications in the light of Charlie Hebdo attacks in Paris, Rozenberg Quartely, 2019. URL: 
http://rozenbergquarterly.com/the-charlie-hebdo-attacks-in-paris-defining-islamophobia-and-its-socio-political-applications/

Introduction
L’étude des réactions de peur ou d’hostilité à l’égard de l’islam et des musulmans a connu un tournant avec la publication du rapport Islamophobia : a challenge for us all (Runnymede Trust, 1997 et 2016), par la Commission on British Muslims and Islamophobia, créée par le Runnymede Trust (groupe de réflexion indépendant). Cette étude pionnière propose d’identifier les causes et manifestations de l’islamophobie, définie comme « une hostilité non fondée envers l’islam », une « crainte ou [une] haine de l’islam, et donc […] la peur ou l’aversion des musulmans ou de la plupart d’entre eux » (Runnymede Trust, 1997, 1), et les « conséquences d’une telle hostilité en matière de discriminations […] et d’exclusion des activités politiques et sociales » (idem, 4). Les auteurs opèrent cependant une distinction fondamentale entre « la peur phobique de l’islam [qui] caractérise des attitudes fermées, et les désaccords et critiques légitimes [qui] caractérisent des attitudes ouvertes » (idem, 4). Cette distinction repose sur huit clivages dans la façon d’appréhender l’islam et les musulmans : uniformité/diversité, séparation/interaction, infériorité/différence, adversité/partenariat, manipulation/sincérité, rejet/considération de la critique de l’Occident, justification/réprobation des discriminations, justification/réprobation de l’islamophobie (idem : 5).

Bien que ce rapport demeure une référence, il a commencé à être vigoureusement critiqué dix ans après sa publication, en particulier pour cette distinction entre « attitudes fermées » et « ouvertes ». Cette binarité tend à résumer l’attitude envers l’islam et les musulmans à de l’islamophilie ou à de l’islamophobie, tout en objectivant par effet de miroir des représentations symétriquement opposées de musulmans « bons ou mauvais », quoiqu’il en soit essentialisés, (Allen, 2010, 76). « L’islamophobie ne peut être déterminée et définie par le “type” de musulmans qui en sont victimes. Elle doit aller plus loin et tenir compte de la reconnaissance d’un “caractère musulman” réel ou perçu », car cette approche réduit l’islamophobie à un « phénomène à la fois trop simpliste et largement superficiel, défini davantage par les caractéristiques des victimes que par la motivation et les intentions des auteurs » (idem, 79-80). Or, cette approche néglige ce faisant l’existence d’un angle mort : il existe en effet des préjugés qui ne procèdent pas d’attitudes « fermées », mais qui sont la conséquence de différences de cultures, de représentations du monde et de valeurs. Les musulmans qui ne se laissent pas réduire à cette binarité sont ainsi exclus de ce traitement de l’islamophobie, et peuvent de ce fait devenir les victimes oubliées du phénomène.

Les analyses de Chris Allen invitent à considérer de nouveaux aspects des manifestations de l’islamophobie, toujours plus ambigus et complexes après le 11 Septembre, comme l’illustrent les débats contemporains sur  le niqab, le multiculturalisme et les processus d’intégration religieuse et culturelle en Europe. À sa suite, divers chercheurs ont alors souligné les limites du rapport Runnymede, et proposé des alternatives. Deepa Kumar (2012, 2) et Ibrahim Kalin (2011, 11) se concentrent davantage sur la dimension racialisante du phénomène. Tahir Abbas (2011, 65), Nathan Lean et John Esposito (2012, 13) en analysent les aspects phobiques. Mohamed Nimer (2011, 78), Hedvig Ekerwald (2011) et Tahir Abbas (2011) s’intéressent aux caractéristiques culturelles et religieuses de l’islamophobie. Même Chris Allen (2010, 190) a tenté de proposer une définition alternative qui, si exhaustive soit-elle, présente une longueur et des incohérences telles qu’elle s’avère peu opérationnelle. Jocelyne Césari (2011) est sans doute celle qui acte le plus précisément ces difficultés. Elle souligne que le terme « islamophobie » est contestable parce qu’il est souvent « appliqué de manière imprécise à des phénomènes divers, allant de la xénophobie à l’antiterrorisme. Il regroupe toutes sortes de discours et d’actes en suggérant qu’ils émanent tous d’un même noyau idéologique, issu d’une peur irrationnelle (phobie) de l’islam » (idem, 21). C’est donc l’ambiguïté du terme permise par sa généralité qui rend impossible son application aux phénomènes divers qui peuvent naître des préjugés à l’égard de l’islam, mêlant préjugés et idéologies politiques variées.

Ces débats ont justifié une actualisation du rapport Runnymede, vingt ans après sa publication en 1997, dans l’objectif « d’améliorer la précision et la qualité des débats, ainsi que des politiques publiques pour lutter contre l’islamophobie » (Elahi, Khan, 2017, 1). Sur la base des réactions au rapport Runnymede, le groupe de réflexion en propose deux nouvelles définitions. La première, abrégée, définit l’islamophobie comme un « racisme antimusulman ». La seconde, plus détaillée, la définit comme « toute distinction, exclusion, restriction ou préférence à l’égard des musulmans (ou perçus comme tels) qui a pour objet ou pour effet d’annuler ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, sur un pied d’égalité, des droits de l’Homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel ou tout autre domaine de la vie publique » (ibid.). Certains contributeurs à ce rapport ont également questionné la pertinence du terme « islamophobie ».

Après avoir discuté de notions de « racisme antimusulman », « préjugés antimusulmans » et « discriminations antimusulmans », Shenaz Bunglawala conclut à la nécessité de conserver le terme « islamophobie » pour deux raisons. Premièrement, il ressort des contenus médiatiques (britanniques) que le terme « islam » a plus souvent une charge péjorative que le terme « musulman », « plaçant ainsi l’appartenance perçue à un groupe au cœur de ces stéréotypes » (Bunglawala, 2017, 70). Deuxièmement, « adopter une terminologie centrée sur la victime (i.e. sur le « musulman » et non sur « l’islam ») risquerait de mener la lutte contre l’islamophobie à manquer sa cible et à oublier de prendre en considération le contexte favorable à l’uniformisation des représentations sur l’islam et les musulmans ». À revers des autres contributeurs, Shenaz Bunglawala argue en faveur de la pertinence de la dichotomie opposant attitudes « ouvertes » et « fermées », notamment au regard de la définition de l’islamophobie comme « racisme antimusulman » : « à une époque où les termes “islam”, “islamique”, “islamiste extrémiste” et “islamiste” sont fréquemment chargés de connotations péjoratives, est-il si étonnant que “l’islamophobie” conserve son pouvoir de nommer l’objet de la haine ? » (idem, 72).

Il ressort de ces débats qu’il est nécessaire de se départir des prénotions sur les victimes a priori pour examiner la pertinence des définitions de l’« islamophobie » au regard des manifestations qu’elles recouvrent dans un contexte donné. Sachant qu’elles ont crû tout en se complexifiant après le 11 Septembre, dans quelle mesure la résurgence du djihadisme depuis le milieu des années 2000 en Europe et les réactions qu’elle suscite interrogent-elles la pertinence de ce terme ? Afin d’apporter des éléments de réponse à cette question, seront examinées les réactions des responsables politiques européens à des attentats djihadistes qui les ont récemment tous interpelés : ceux de janvier 2015 à Paris. Ces évènements ont en effet concouru à renforcer les discours et pratiques discriminantes à l’endroit des musulmans dans l’Union européenne (Foundation for Political, Economic and Social Research, 2016), tout particulièrement dans le contexte des débats sur la radicalisation où les populations musulmanes font facilement figure d’ennemi intérieur (Baker-Beall et al., 2015 ; Ragazzi, 2016). Les réactions des responsables politiques à ces attentats sont en effet propres à faire apparaître les ambiguïtés liées à l’appréhension contemporaine de l’islamophobie, donc à inviter à réviser sa définition d’une part, et à réfléchir à ses implications sur les plans politique, législatif et social d’autre part.

Après avoir décrit la méthodologie appliquée pour construire le corpus des discours et les analyser (1), seront présentés les résultats de l’analyse du discours politique (2), avant de conclure par des propositions visant à cerner plus pertinemment les discours discriminatoires à l’endroit de l’islam et des musulmans.

I/ Méthodologie
Le 7 janvier 2015, Chérif et Saïd Kouachi, deux frères français d’origine algérienne, âgés de 32 ans et 34 ans, se rendent dans les locaux du journal satirique Charlie Hebdo. Ils abattent un homme de la maintenance, puis un policier chargé de la protection de Stéphane Charbonnier (journaliste condamné à mort par al-Qaïda), neuf journalistes qui assistent à la conférence de rédaction hebdomadaire, et, dans leur fuite, un autre policier. Les terroristes ont revendiqué avoir « tué Charlie Hebdo » en représailles aux caricatures du prophète Mohammed, et avoir agi au nom d’al-Qaïda au Yémen qui a revendiqué l’attentat (al-Qaïda au Maghreb islamique a par ailleurs salué les « chevaliers de la vérité »). Amedy Coulibaly, Français d’origine malienne, 32 ans, s’est dans le même temps livré à plusieurs attaques. Il est suspecté d’être l’auteur de l’explosion d’une voiture à Villejuif (Val-de-Marne), le 08 janvier. Le même jour, il abat une policière municipale à Montrouge (Hauts-de-Seine), et blesse un agent de la voirie. Le lendemain, il prend en otage vingt-trois clients du magasin Hyper Cacher à Paris, tue quatre personnes et fait neuf blessés. Dans une vidéo diffusée post-mortem sur Internet, il revendique avoir agi au nom de l’État islamique, en coordination avec les frères Kouachi. Les assassins ont été tués lors des interventions des forces de l’ordre.

Si des violences de cette nature ont toujours des retentissements dans le débat public, ceux suscités par cet événement furent sans précédent en France. Le fait qu’ait notamment été visée la rédaction d’un journal accusé de blasphème disposait à un cadrage particulier : une attaque contre la « liberté d’expression », la « laïcité », « les Lumières », contre « ce que nous sommes » déclarèrent les membres du gouvernement. La société s’est sentie ébranlée dans les valeurs fondatrices de son identité collective. D’où l’identification exceptionnellement massive suscitée par cet attentat : des millions de messages d’hommage se sont succédés sur les réseaux sociaux, tandis que près de quatre millions de personnes, rejointes par une cinquantaine de chefs d’État, manifestèrent spontanément dans les rues de France le 11 janvier 2015. Cet article s’appuie sur les réactions des responsables politiques européens à ces attentats. Leurs discours sont analysés au moyen de la méthode de l’analyse du discours politique, qui invite à porter plus particulièrement attention aux modalités de désignation des responsables de ces violences (Fairclough, 1995 ; van Dijk, 1993, 1997 ; Blommaert, Bulcaen, 2000), dans l’objectif d’évaluer comment ces discours participent des préjugés et des discriminations identifiés par les définitions de référence de l’islamophobie. Les pratiques politiques étant aussi des pratiques discursives, « le discours, oral ou écrit, a des fonctions et des implications politiques » (van Dijk, 1997, 14). Par conséquent, les réactions des responsables politiques ainsi que les programmes de leurs partis sont révélateurs du positionnement politique de leurs auteurs.

I/1. Sélection des pays et des partis politiques
La sélection des pays inclus dans l’analyse est établie sur deux critères : faire partie des membres fondateurs de l’Union européenne (UE) et abriter importante une population musulmane. D’une part, les pays ayant une histoire longue d’intégration dans l’UE entretiennent des liens politiques étroits qui contribuent à accroître les attentes des uns envers les autres, qui portent notamment sur les réactions à de tels évènements. En outre, les pays sélectionnés comptent parmi les membres les plus peuplés de l’UE, qui, en raison de leur appartenance de longue date à la Communauté européenne, peuvent servir d’exemple aux États qui ont adhéré plus récemment à l’UE ou dont la population est moins volumineuse. D’autre part, il est important que ces pays abritent une population musulmane suffisamment significative pour que l’islam y soit un fait social et donc un objet de débats. Les premiers signataires du traité de Maastricht en 1992 (création officielle de l’Union européenne) – à savoir l’Allemagne, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la France, la Grèce, l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Portugal, et le Royaume-Uni – abritent une population musulmane supérieure à 2% de la population totale, à l’exception de l’Irlande (1,1%) et du Portugal (0,3%) (Hackett, 2016). Par souci de cohérence, l’échantillon des pays sélectionnés exclut donc ces deux pays auxquels se substituent, à des fins de représentativité, l’Autriche et la Suède : il s’agit des deuxièmes plus anciens membres de l’UE (ratification du traité de Maastricht en 1994) et ils abritent une population musulmane s’élevant respectivement à 5,4% et 4,6% de leur population totale. Ces choix visent également à s’intéresser à des pays dont l’expérience de l’islam est due à des migrations récentes (à l’exception de l’Espagne et la Grèce), où, par conséquent, les débats relatifs à l’intégration culturelle et au pluralisme religieux sont vifs. Ils constituent donc un espace privilégié pour observer les récentes évolutions des phénomènes recouverts par l’islamophobie.

Le tableau 1 (ci-dessous) restitue la liste des pays et partis sélectionnés, les pourcentages de musulmans dans la population totale de chaque pays, et il indique si un parti ou son représentant a fait une déclaration sur les attentats. Afin de s’appuyer sur une représentation plus précise des réactions des responsables politiques aux attentats de Charlie Hebdo, seront considérées celles des partis au pouvoir (i.e. ceux représentés au gouvernement), des principaux partis d’opposition (i.e. ceux cumulant le pourcentage de votes le plus élevé après les partis au pouvoir) et des partis populistes (ainsi qualifiés en raison des positions anti-immigration, anti-islam et anti-élitisme de leurs programmes) . Dans deux cas (Parti autrichien de la liberté – FPÖ et Parti néerlandais pour la liberté – PVV), les principales prises de position de partis d’opposition et de partis populistes se recouvrent. En raison de leur position politique, ces partis sont considérés comme populistes. Les partis au pouvoir et leurs principaux opposants bénéficient d’une plus grande couverture médiatique, et leurs réponses peuvent donc être considérées comme les plus influentes et significatives, quoique les principaux partis d’opposition sont susceptibles d’utiliser une rhétorique visant à accentuer leurs divergences avec les gouvernements en place, et les partis populistes plus encore (van Dijk, 1993 : 60). Aussi, l’analyse des réponses prend en considération les programmes des partis politiques afin d’élargir le cadre d’analyse.
Les douze pays sélectionnés incluent quarante-neuf partis politiques et trente-trois programmes de partis, décomposés comme suivant : trente-trois partis au pouvoir (incluant des coalitions) avec vingt programmes, neuf partis d’opposition avec six programmes, et sept partis populistes avec sept programmes.

Tableau I : Pays sélectionnés, population musulmane qu’ils abritent et existence de réactions aux attentats de Charlie Hebdo.

Tableau I : Pays sélectionnés, population musulmane qu’ils abritent et existence de réactions aux attentats de Charlie Hebdo I

I/2. Collecte et analyse des données
La collecte de données a été menée sur Internet (la majorité des déclarations n’ont pas été diffusées en français et ont été traduites), à l’aide du moteur de recherche Google pour les réponses individuelles des responsables politiques, sur les sites des partis et gouvernements pour les déclarations officielles, les communiqués de presse et les programmes des partis. Si la réponse d’un parti ne figurait pas sur le site ou si un programme n’était pas accessible en ligne, cela est signalé (nd.) et pris en considération dans l’analyse.

Tableau I : Pays sélectionnés, population musulmane qu’ils abritent et existence de réactions aux attentats de Charlie Hebdo II

Lorsque des déclarations ne figuraient pas sur les sites Internet des partis ou du gouvernement, mais étaient rapportées par la presse, l’information a été vérifiée par recoupement avec d’autres médias. Les manifestes ou programmes des partis ont été téléchargés sur leurs sites Internet et intégrés à l’analyse afin de restituer les positions de ces partis sur ces questions. Dans cinq cas (CDU en Allemagne, PD en Italie, VVD aux Pays-Bas, MR en Belgique, SD en Suède), les déclarations d’autres responsables que les chefs de parti ont été incluses dans l’analyse en raison de l’influence de ces acteurs.

Les réponses ont été compilées dans une base de données qui mentionne le contexte de la déclaration (calendrier, moyen de communication, manifeste du parti, etc.) et qui précise les modalités de qualification des auteurs des attentats en portant attention à la nature des associations qu’elles opèrent avec l’islam et les musulmans. L’analyse du discours repose deux critères. Premièrement, la conformité aux définitions de l’islamophobie du rapport Runnymede, et sa distinction entre attitudes « ouvertes » et « fermées » envers l’islam. Les analyses des réactions des partis retiennent trois aspects de chaque réaction :

(1) Responsabilité : mention de la responsabilité des attentats dans la déclaration, i.e. à qui ou quoi les responsables politiques attribuent les violences ;
(2) Islam ou musulmans mentionnés dans la déclaration ou non ;
(3) Distinction opérée entre des aspects positifs et négatifs de l’islam ou des musulmans.

Deuxièmement, l’analyse du discours politique (ADP) a été appliquée à ces discours au moyen du cadre d’analyse textuelle élaboré par Teun van Dijk (1997 et 2003) et Norman Fairclough (1995). Ce faisant, les principes essentiels de l’ADP (cf. infra) permettront d’évaluer dans quelle mesure les définitions de référence de l’islamophobie demeurent pertinentes face à l’évolution des discours politiques sur l’islam et les musulmans en Europe.

I/3. Analyse du discours politique
L’ADP est une approche découlant de l’analyse du discours critique (ADC) dont elle partage les postulats : le discours est fondateur de la société et la culture ; il exprime une idéologie ; il assure la médiation entre l’écriture et la société ; il constitue un mode de transmission ; il est une forme d’action sociale ; l’analyse discursive est interprétative et explicative (Fairclough and Wodak, 1997, 271-280). L’ADP se distingue de l’ADC par l’importance accordée au contexte politique, à la reproduction du pouvoir politique, à la domination ainsi qu’aux « conditions et conséquences discursives des inégalités sociales et politiques qui [en] résultent » (van Dijk, 1997, 11). L’ADP se concentre sur les acteurs politiques, la rhétorique, le contexte, le temps, les moyens de communication et tout ce qui s’y rapporte (ibid.). L’objectif de l’ADP est l’analyse critique d’un texte, d’un discours ou d’autres formes de communication pour en extraire les messages latents et explorer leurs contextes (Fairclough, 1995, 23). L’« objet (locus of critique) de l’ADC et de l’ADP est le lien entre le langage, le discours, la parole et la structure sociale » (Blommaert, Bulcaen, 2000, 449). Les ADC sont utiles pour démêler les structures et les rapports de domination sous-jacents aux discours. Le cadre analytique de l’ADP proposé par van Dijk (1997 et 2003) inclut des facteurs tels que les acteurs, les destinataires, l’idéologie, le moment et le lieu, le moyen de communication et les niveaux macro- et microsociologiques du discours politique.

Le contexte de cette étude est les attentats djihadistes perpétrés en janvier 2015 à Paris, et les réactions immédiates des responsables politiques à cet évènement. Le caractère spontanée de ces réactions est crucial : alors que tout émetteur d’un discours politique sait que celui-ci sera analysé par tous les acteurs (médias, responsables politiques, opinion), les réactions spontanées adviennent le plus souvent avant que l’acteur n’ait pu évaluer pleinement la situation, ce qui rend ses propos plus fidèles à sa pensée. Ainsi, toutes les déclarations analysées ici sont survenues dans les trois jours suivant l’attentat (à l’exception de celles du chef du FPÖ autrichien). Ainsi que le requiert l’ADP, ces réactions seront analysées aux niveaux macro- (communication des partis, leurs relations et leurs électorats) et microsociologique (langage employé aux cours des interactions).
Les moyens de communication utilisés par ces acteurs incluent des discours parlementaires, des entrevues avec les médias et les sites Internet des partis et des gouvernements. L’importance du moyen de communication notamment permis de souligner la différence possible entre les déclarations officielles (site Internet du gouvernement ou du parti, communiqués de presse officiels) et non officielles (entrevues dans les médias, débats parlementaires, etc.).

II/ Réponses des partis politiques
Les déclarations des gouvernements, des responsables et partis politiques sont présentées dans les trois sections suivantes conformément à la méthode précédemment décrite qui distingue les réactions des partis au pouvoir (2.1), des principaux partis d’opposition (2.2) et des partis populistes (2.3).

II/1. Réactions des partis au pouvoir

Tableau II : Réactions des partis au pouvoir aux attentats de Charlie Hebdo I

Tableau II : Réactions des partis au pouvoir aux attentats de Charlie Hebdo II

Tableau II : Réactions des partis au pouvoir aux attentats de Charlie Hebdo

II/2. Réactions des principaux partis d’opposition

Tableau III : Réactions des principaux partis d’opposition aux attentats de Charlie Hebdo

II/3. Réactions des partis populistes

Tableau IV : Réactions des partis populistes aux attentats de Charlie Hebdo

Il ressort de ce corpus que sur les vingt-sept déclarations de partis au pouvoir (six partis n’ont pas fait de déclaration), qui consistent essentiellement en des condamnations de l’attentat et des appels à l’unité, seules cinq mentionnent l’islam ou les musulmans. Les réactions des partis d’opposition, qui condamnent également l’attentat et présentent leurs condoléances, sont moins fréquentes. Sur cinq déclarations officielles, seuls deux partis mentionnent l’islam ou les musulmans. Enfin, en ce qui concerne les partis populistes, quatre déclarations sur six évoquent l’islam ou les musulmans (un parti n’a pas émis de déclaration). Ces quatre partis font référence à l’islamisation de l’Europe et soulignent avoir alerté de la menace qu’elle faisait peser, tout en différenciant les « bons » des « mauvais » musulmans.

Tableau II : Réactions des partis au pouvoir aux attentats de Charlie Hebdo III

Tableau II : Réactions des partis au pouvoir aux attentats de Charlie Hebdo IV

Seuls quatre des partis qui mentionnent l’islam ou les musulmans l’ont fait en des termes conformes à leurs programmes (RN en France, PVV aux Pays-Bas, CDU en Allemagne et VB en Belgique). Trois autres partis (CSU et Parti de gauche en Allemagne et PP en Espagne) évitent ces mentions alors que leurs programmes établissent des liens entre islam et terrorisme. Les divergences de ces réactions sont également visibles lorsque l’on tient compte des moyens de communication. Aucune déclaration officielle d’un gouvernement recensée ici ne mentionne explicitement l’islam ou les musulmans. Sur les onze déclarations qui y font référence, neuf ont été publiées sur le site Internet du parti (partis au pouvoir : N-VA belge, CDU allemand, NCD italien, PASOK grec ; partis d’opposition : Parti socialiste belge ; partis populistes : RN français, PVV néerlandais, FPÖ autrichien, VB belge), une a été diffusée dans les médias (parti d’opposition : Venstre danois) et une autre a été formulée dans le cadre d’un discours parlementaire (parti au pouvoir : Parti démocratique italien).

Tableau II : Réactions des partis au pouvoir aux attentats de Charlie Hebdo V

III/ La « zone grise » des débats sur l’islamophobie

III/1. Analyse des réponses
La terminologie employée pour qualifier les auteurs de l’attentat est diversifiée, et ces différences s’expliquent dans une large mesure par les positions de ces responsables politiques, aux niveaux micro- et macrosociologiques. Au niveau microsociologique, la majorité des partis au pouvoir usent de formules passives ou impersonnelles en qualifiant les auteurs d’« individus », de « coupables », de « criminels » ou en attribuant la responsabilité des faits au « terrorisme » ou au « radicalisme ». En ce qui concerne les réactions comprenant une référence à l’islam ou aux musulmans, seuls deux partis au pouvoir sur cinq attribuent la responsabilité des attentats aux « islamistes » (CDU allemande) et au « radicalisme islamique » (N-VA belge), et observent la distinction soulignée par le rapport Runnymede entre musulmans et radicaux. Les trois autres partis au pouvoir, tout en mentionnant l’islam ou les musulmans dans leurs déclarations, ont ciblé le « terrorisme » et la « violence » (PDD italien), le « terrorisme » et les « criminels » (NCD italien) ainsi que les « attentat terroriste » (PASOK grec), observant à leur tour distinction entre « attitudes fermées » et « ouvertes ». Deux des partis d’opposition qui mentionnent l’islam ou les musulmans ont désigné l’« attentat » et « quelqu’un a violé l’une des grandes religions du monde » (Parti libéral danois), les « fanatiques » et « un attentat lâche et barbare » (Parti socialiste belge), ce qui, une fois encore, satisfait à la distinction du rapport Runnymede. Les quatre partis populistes ont attribué la responsabilité des faits à l’« intégrisme islamique » et au « fondamentalisme musulman » (RN français), l’« islam », le « Coran » et « Mohammed » (PVV hollandais), l’« islamisme radical » et le « terrorisme islamiste » (FPÖ autrichien), le « djihadisme » et l’« islamisation » (VB belge). Trois partis populistes ont dissocié l’islam des musulmans. Le VB belge est le seul parti de cette étude qui attribue la responsabilité des violences à l’« islam » ou aux « musulmans », et ne reconnaît pas la distinction établie par le rapport Runnymede.

Tableau II: Réactions des partis au pouvoir aux attentats de Charlie Hebdo VI & Tableau III : Réactions des principaux partis d’opposition aux attentats de Charlie Hebdo I

Les discours des responsables politiques s’expliquent aussi par leur position au niveau macrosociologique (van Dijk, 2003) : les partis au pouvoir préfèrent la prudence, les partis d’opposition émettent moins souvent de déclarations officielles, et les partis populistes se montrent plus offensifs. Dans l’ensemble, les responsables de tous les partis présentent un discours adapté à leurs groupes sociaux (politiques) et leurs agendas. De ce fait, toutes ces réactions, comme leur absence, constituent des faits sociaux significatifs (idem), qu’il s’agisse d’appels à l’unité nationale, à lutter contre l’islam, désislamiser l’Europe, renforcer la sécurité des grandes villes, etc.

Ces résultats confirment le postulat de l’ADP : les acteurs n’agissent pas aléatoirement, et leurs discours se comprennent au regard de leurs positions dans le champ politique, de leurs publics respectifs et des contextes intérieurs de chaque pays (van Dijk, 1993, 3). En Belgique (N-VA, parti au pouvoir) et en France (RN, parti populiste), les responsables politiques ont évoqué une radicalisation croissante ; Peter Tauber (CDU allemand, parti au pouvoir) a souligné la menace « islamiste » pour le pluralisme religieux, faisant craindre la croissance du PEGIDA en Allemagne ; tandis qu’en Grèce, Antonis Samaras (ND, parti au pouvoir) a souligné les risques issus de la provenance de réfugiés syriens sur le sol national.

Comme le montrent les réactions des partis d’opposition et des partis populistes, leurs rhétoriques usent de la différenciation entre « eux » et « nous ». Elles alternent aussi entre les registres de langue formel et informel selon le groupe social visé : Nigel Farage, chef de l’UKIP, s’adresse à son électorat, la classe ouvrière ; Geert Wilders use d’un langage offensif aux Pays-Bas ; Katja Kipping, co-présidente du Parti de gauche allemand, se montre prudente en usant de références au libéralisme politique et à des raisonnements sociologiques. La distinction entre la « majorité des musulmans » et les « radicaux religieux » relève d’une rhétorique de la disculpation, présente à différents niveaux politiques : au sein des partis au pouvoir (le dirigeant de la N-VA belge reconnaît la « radicalisation de certains cercles musulmans européens » comme une menace directe pour la sécurité publique, tout en soulignant que « les assassinats sont bien le fait d’individus isolés »), des partis d’opposition et des partis populistes, comme lorsque le dirigeant du PVV hollandais déclare : « C’est l’islam qui inspire chaque fois les meurtriers. C’est Mohammed, le prétendu prophète. C’est le Coran. […] Bien sûr, je ne parle pas de tous les musulmans ». Il en est de même de la réaction de la présidente du RN français qui dénonce une « idéologie meurtrière », « l’islamisme radical », exhorte à un « refus absolu du fondamentalisme islamique [qui] doit être proclamé haut et fort », tout en nuançant : « personne ne veut confondre nos compatriotes musulmans attachés à notre nation et à ses valeurs avec ceux qui tuent au nom de l’islam ».

Tableau III : Réactions des principaux partis d’opposition aux attentats de Charlie Hebdo II

Un même constat s’impose à la lecture de l’ensemble de ces réactions : les responsables politiques oscillent entre deux extrêmes, allant d’un pacifisme prudent à une rhétorique belliqueuse à l’encontre d’une religion et de ceux qui y sont associés. Dans le contexte de la résurgence du djihadisme et des débats sur la radicalisation, s’impose un même souci largement partagé de distinguer les musulmans et l’islam d’une part, des violences perpétrées en son nom d’autre part, y compris au sein de partis hostiles à l’islam comme le RN (France) et le PVV (Pays-Bas). La seule exception vient des populistes belges, le VB, qui ont incriminé les attentats « djihadistes », l’« islam » et l’« islamisation croissante de l’Europe », en conformité avec le manifeste du parti dans lequel l’« extrémisme musulman grandissant » est décrit comme une menace majeure.

III/2. Définition de l’islamophobie : une confusion persistante
La tendance dominante à dissocier l’islam de l’islamisme ou du djihadisme, les musulmans des auteurs de violences pourrait étonner au regard au regard du nombre de partis et responsables politiques dont les programmes considèrent cette religion dans son essence comme une menace existentielle pour leur société. Ces acteurs naviguent dans une matrice idéologique essentialiste qui présuppose un continuum entre islam et violence, tout en s’efforçant de les distinguer dans leurs déclarations. Cette distorsion est le signe des effets des discours anti-islamophobes auxquels des porteurs d’idéologies anti-musulmanes se conforment par volonté de se prémunir de toute accusation d’islamophobie et de ses conséquences judiciaires, elle-même permise par des lois tant déterminées à préserver la liberté d’expression qu’à lutter contre les discriminations. En effet, seuls Tom van Grieken et Barbara Pass (populistes belges, Intérêt flamand) pourraient être à cet égard qualifiés d’islamophobes au regard de leurs généralisations préjudiciables à un groupe religieux dans son ensemble. Ce paradoxe a été souligné par Chris Allen (2010) : les acteurs qui diffusent des représentations hostiles à l’islam, qui soutiennent que les croyances qui en relèvent mènent à la violence et que ses membres seraient donc des terroristes potentiels se disculpent d’islamophobie dès lors qu’ils précisent que leurs accusations n’engagent pas l’ensemble des musulmans.

Tableau III: Tableau IV:Tableau III: Réactions des principaux partis d’opposition aux attentats de Charlie Hebdo III & Tableau IV: Réactions des partis populistes aux attentats de Charlie Hebdo I

Les définitions qui, à l’instar de celles de Deepa Kumar (2012), Ibrahim Kalin (2011) ou Mohamed Nimer (2011), privilégient une entrée par le racisme et insistent de ce fait sur l’hostilité, les préjugés ou les discriminations envers un groupe religieux semblent justes. Elles demeurent cependant peu opératoires dès lors que les auteurs des discours participant de la fabrication d’un problème musulman prennent le soin de ne citer que des « individus isolés ». Les définitions proposées par Chris Allen (2010), Hedvig Ekerwald (2011) ou Jocelyne Césari (2011) semblent plus pertinentes dans ce contexte dans la mesure où elles reconnaissent la propagation de la peur, de représentations et d’idéologies péjoratives comme relevant de l’islamophobie. Elles s’avèrent néanmoins peu efficaces dès lors que des responsables politiques hostiles à l’islam et aux musulmans usent de formules impersonnelles, ou dissocient l’islam de ses manifestations violentes. Alors que le rapport Runnymede s’est saisi de l’islamophobie afin de lutter contre des discours et pratiques haineuses ou discriminantes à l’encontre d’un groupe, il échoue partiellement à les appréhender.

Tableau IV: Réactions des partis populistes aux attentats de Charlie Hebdo II

Ramon Grosfoguel souligne cette hypocrisie : « En prenant pour objet la religion “des autres”, les Européens, les Euro-américains et les Euro-israéliens échappent aux accusations de racisme. Cependant, lorsqu’on examine attentivement la rhétorique hégémonique à l’œuvre, ces tropes sont une reproduction d’un ancien discours raciste biologique, et les personnes visées par les discours islamophobes sont les sujets des anciens empires coloniaux occidentaux. […] Il est absolument impossible de dissocier la haine ou la peur contre les musulmans du racisme contre les non-Européens. L’islamophobie et le racisme culturels sont enchevêtrés » (Grosfoguel, 2012, 13-14). De fait, les responsables politiques se livrant à des critiques généralisées et infondées envers l’islam et les musulmans n’y voient guère une manifestation de racisme envers des populations ethnicisées. D’autant plus que, comme le montrent Martin Reisigl et Ruth Wodak, le suffixe « -phobie » introduit un biais dans la perception du phénomène : il mène à « négliger l’aspect actif et agressif de la discrimination, et à pathologiser le racisme (et toutes les autres formes de discrimination couvertes par le suffixe -phobie) par la “métaphore de la maladie”, de la “phobie”, qui en tant que telle minimise le racisme et, au moins implicitement, exonère les racistes » (2001, 6). Ainsi, les idéologues islamophobes se présentent volontiers comme de courageux défenseurs d’un peuple dont l’existence est menacée par l’islam (Liogier, 2012). La difficulté à appréhender le caractère haineux et discriminant envers l’islam et les musulmans dans la sphère politique illustre les limites de cette terminologie.

Tableau IV: Réactions des partis populistes aux attentats de Charlie Hebdo III

III/3. Reconsidérer l’islamophobie ?
Face à ces difficultés, trois approches peuvent être envisagées. La première consisterait à encourager le développement d’une terminologie alternative. Chris Allen propose dans cette perspective de dissocier l’islam en tant que religion, des musulmans en tant que populations (2010, 135-137). De la même façon, George Readings, James Brandon et Richard Phelps (2010) préconisent de remplacer le terme « islamophobie » par « discrimination » ou « haine anti-musulmans », ce qui permettrait de renvoyer plus précisément aux victimes en tant que telles, tout en restituant le caractère actif ou agressif de cette attitude. Cependant, la critique préjudiciable de la religion porterait toujours, par extension, sur ses fidèles, qui devraient, pour s’en préserver, renoncer à leurs pratiques et croyances… (de Ruiter, 2012). Outre le fait d’être peu probante, l’hypothèse d’une terminologie alternative requerrait également un processus d’assimilation linguistique long et coûteux, qui ne ferait qu’ajouter à la confusion alors que le terme d’« islamophobie » est désormais adopté par les institutions internationales (Bahçecik, 2013).

La seconde approche consisterait à poursuivre l’effort de renouvellement de la définition de l’islamophobie. Bien que les définitions actuelles, qui se concentrent sur le racisme, l’intolérance et les préjugés infondés envers les musulmans, leurs cultures, leurs appartenances ethniques et leur religion, restent pertinentes, poursuivre l’effort de réflexion dans cette direction est nécessaire pour affiner la connaissance de ces phénomènes dont les manifestations sont multiples et évolutives. La multiplicité des définitions existantes témoigne ainsi de l’intérêt de la communauté des chercheurs pour cet objet, mais aussi des limites pratiques d’une telle démarche.

À la croisée des deux précédentes approches, une troisième proposition serait d’envisager une terminologie complémentaire. Alors que l’islamophobie repose largement sur l’entretien d’une confusion entre les musulmans et ceux qui légitiment la violence au nom de l’islam (certaines organisations islamistes et le djihadisme), l’enjeu serait d’introduire une terminologie qui encouragerait à leur distinction. Le débat s’est ainsi posé au sujet de la confusion entre l’antisémitisme et l’antisionisme (critique de la politique sioniste d’Israël ; dont la définition demeure contestée). Edward Corrigan (2009) souligne à cet égard qu’il est légitime, en démocratie, de critiquer le sionisme sans être antisémite, le nazisme sans nourrir d’aversion contre les Allemands, la torture pratiquée par l’armée américaine en Irak sans être raciste envers les Américains, etc. De la même façon, il est légitime de critiquer certaines manifestations de l’islam sans être raciste envers les musulmans. Ce terme additionnel pourrait par exemple cibler les manifestations illégales ou violentes de l’islam, comme cela est d’usage dans le discours politique européen (divers responsables politiques décrivent les auteurs des attentats comme des « islamistes » : RN en France, CDU et CSU en Allemagne, FPÖ en Autriche). George Readings, James Brandon et Richard Phelps, qui insistent sur l’importance du langage comme d’outil politique, montrent combien les représentations du monde véhiculées par l’islamisme entrent en résonance avec celles diffusées par l’extrême droite : « la croyance que “le monde musulman” est un bloc homogène partageant un même agenda politique » ; « la croyance que le monde devrait être divisé en blocs rivaux et concurrents, avec les musulmans d’un côté et les non-musulmans de l’autre » ; « les islamistes de tous horizons croient que les comportement des musulmans devraient être déterminés par leur seule religion » ; « les islamistes estiment qu’une interprétation unique de la charia […] peut et doit être imposée à la société » (2010, 3-14). L’introduction du terme « anti-islamisme/djihadisme » découragerait les amalgames entre les préjugés réprouvables envers l’islam et les musulmans, des entreprises illégales ou violentes au nom de l’islam. Cette proposition entre aussi en résonnance avec les pratiques politiques et elle n’impliquerait aucun processus d’assimilation linguistique coûteux.

Conclusion
La mise en perspectives historiques des débats sur l’islamophobie suscités par le rapport Runnymede met en évidence l’une de ses limites : l’opposition entre critique légitime ou réprouvables de l’islam et des musulmans objective en retour une représentation essentialiste et binaire du musulman, qui génère une zone grise échappant à la lutte contre l’islamophobie (préjugés préjudiciables qui ne procèdent pas d’attitudes « fermées »). Les débats récents (controverses sur le niqab, sur la « crise du multiculturalisme », etc.), notamment ceux suscités par l’attentat de Charlie Hebdo obligent à reconsidérer cet espace. L’analyse des réactions politiques à cet événement, au moyen de l’ADP, révèle combien les partis ouvertement anti-islam se jouent de la confusion permise par ce délicat équilibre entre liberté d’expression et égalité des individus, au fondement des démocraties modernes. Si le renoncement à cette terminologie demeure peu souhaitable, l’affinement des définitions de l’islamophobie semble quant à lui nécessaire, sans être en mesure d’y remédier.

L’introduction du terme « anti-islamisme/djihadisme » permettrait alors d’affiner le débat, mais cette proposition pose aussi question. Elle ne suffit pas à remédier aux critiques formulées à l’endroit de la définition de l’islamophobie du rapport Runnymede, dans la mesure où la question du périmètre des critiques légitimes ou réprouvables à l’endroit de l’islam et des musulmans (et la représentation essentialiste des musulmans qui lui est sous-jacente) reste posée (pourquoi devrait-elle s’étendre à tous les islamismes ou demeurer circonscrite au djihadisme ?). De plus, les controverses au sujet de la différenciation de l’antisémitisme et de l’antisionisme rappelle les inévitables limites d’une telle proposition : distinguer des engagements ou une politique à référent religieux des populations qui s’identifient plus largement à cette religion n’empêche pas de facto les amalgames. De la même façon que l’antisionisme dissimule parfois de l’antisémitisme, l’anti-islamisme/djihadisme est parfois l’expression d’une hostilité envers l’ensemble des musulmans. Cela devrait-il suffire à renoncer à considérer l’utilité d’une telle proposition ? Non, car « mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde », écrivait Albert Camus. Cette proposition n’entend être rien d’autre qu’une contribution, mince et utile, aux débats sur l’islamophobie qui semblent avoir de beaux jours devant eux.

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Noam Chomsky: Trump Is Quite Capable Of An “October Surprise”

Noam Chomsky ~ Photo: en.wikipedia.org

We take as axiomatic that the United States is a democracy, yet there can be no denying the fact that the country has been rapidly sliding into authoritarianism since Trump came to office, partly thanks to an antiquated mechanism known as the Electoral College. Trump’s removal of independent government watchdogs, his constant attacks on media, his divisive rhetoric, the way he has handled the coronavirus pandemic, his decision to send federal agents to crush protests, and his suggestion about postponing the November general election are but a small sample of Trump’s autocratic leadership, yet they speak volumes about the dark cloud over the U.S. In fact, it is quite conceivable that the worst is yet to come, says leading public intellectual Noam Chomsky. In this exclusive interview for Truthout, Chomsky says an “October surprise” from Trump or his cronies cannot be ruled out.

C.J. Polychroniou: Since coming to power, Trump has taken various steps to rule like an autocrat. His latest tactic is to send federal agents into cities to crush protests. Can you talk about the political aims behind Trump’s abuse of his law enforcement powers, and whether these actions have a precedent in modern U.S. history?

Noam Chomsky: The renowned economist James Buchanan, one of the leading figures of U.S.-style “libertarianism,” observed in his major work The Limits of Liberty that the ideal society should accord with fundamental human nature, which makes good sense. Then comes the next question: What is fundamental human nature? He had a very simple answer: “In a strictly personalized sense, any person’s ideal situation is one that allows him full freedom of action and inhibits the behavior of others so as to force adherence to his own desires. That is to say, each person seeks mastery over a world of slaves.”

It is not easy to find real human beings who suffer from this pathology, but Trump seems to be a good candidate…. When inspectors general begin to fulfill their duty of inquiring into the swamp of corruption he’s created, he fired them. The U.S. attorney for the Southern District of New York was summarily dismissed when he made the same error, replaced by a flack for private equity.

Next in turn is the military: “The White House is intensifying an effort to hire Pentagon personnel with an undisputed allegiance to President Trump … current and former officials said.” When the Senate did not quickly confirm his choice, retired Gen. Anthony Tata, to fill “the Pentagon’s top policy job,” Trump simply appointed him without the required Senate approval. This has been standard procedure under Trump. Why bother with the legal formality of Senate confirmation?

Practices are much the same when the population dares to raise its head. They are then threatened with “ominous weapons” and “vicious dogs,” the latter a reference to the attack on civil rights protesters that aroused horror and contempt when they were used in the deep South 60 years ago. Overruling state and local officials [Trump] sent paramilitaries to assault protesters in Portland, Oregon, including the elite Border Patrol Tactical Unit (BORTAC), trained to use violence with little oversight against miserable refugees dying in the harsh Arizona desert not far from where I live.

Confronting Portland’s “Wall of Moms” with brute force does not go over too well with the general public, even arousing protests that it can’t happen here: We’re not Italy under Mussolini!

BORTAC was therefore withdrawn from Portland and returned to its mission of demonstrating that it can and doeshappen here, even if we choose not to look. A few days after leaving Portland, heavily armed BORTAC units raided a humanitarian aid station for fleeing refugees in the Arizona desert, “detaining over thirty people who were receiving medical care, food, water, and shelter from the 100+ degree heat. In a massive show of force, Border Patrol, along with BORTAC, descended on the camp with an armored vehicle, three ATVS, two helicopters, and dozens of marked and unmarked vehicles,” a No More Deaths news update reports.
There’s plenty more.

One reaction is that, “The Western-led world order is in crisis. If the U.S. reelects Donald Trump, this will be terminal.”
A few years ago, you might hear these sentiments from someone on a street corner holding a sign reading “The end is nigh.” Today, you read them in the world’s leading business journal, the London Financial Times, expressed by the sober and highly respected economic-political analyst Martin Wolf.
Much of the world has had more than enough of the Western-led world order in the past centuries, but would hardly favor what is likely to come if Trump were to administer a terminal blow.
Are there precedents in American history? One has to search pretty hard to find any. One possible candidate is Trump’s hero Andrew Jackson, who is alleged to have declared that Supreme Court Chief Justice “John Marshall has made his decision now let him enforce it” when Jackson defied the Court’s orders to stop his campaign of brutal Indian removal.

We should also not overlook the fact that popular support for autocracy runs disturbingly high. Few signs are clearer than attitudes toward the media. Almost one-fourth of Republicans agree that “President Trump should close down mainstream news outlets, like CNN, The Washington Post and The New York Times.” Twice that number of Republicans, almost half, agree that “the president should have the authority to close news outlets engaged in bad behavior” and that “the news media is the enemy of the American people,” engaged in bad behavior. Democrats are not that extreme, but the numbers are not overly reassuring.

What about his suggestion that the November general election be delayed, from which he refuses to back down? Given that he is not constitutionally empowered to enforce such an extraordinary proposal, how can he be stopped from doing so?

He could be stopped by mass popular protests, perhaps a general strike, inducing the real masters to intervene to preserve the society they largely own. If it comes to a true show of force, Trump can be stopped by the military — if they decide to uphold the Constitution. These strange days it must surely have occurred to many that Trump’s attempted purge of the military command might be planning for such a contingency — something else that would have been unthinkable a few years ago.

It might be worthwhile to pay attention to some analogies in today’s decaying global social order. Recently, Trump’s mimic in Brazil, President Jair Bolsonaro, sought to fire investigators looking into his family’s sordid activities. He was blocked by the Supreme Court.

The world’s oldest parliamentary democracy is also tottering, under the regime of Prime Minister Boris Johnson, who stands out in Europe for Trump-like failure to handle the pandemic. When Johnson wanted to ram through his version of Brexit, he simply suspended Parliament, an unprecedented act that was bitterly condemned by British legal authorities, and quashed by the Supreme Court.

The U.S. trails behind.

Trump’s attacks on the U.S. Postal Service are increasing in the year of the mail-in ballot. In fact, his new postmaster general, Louis DeJoy, has already taken steps to slow down the delivery of mail, and there is even talk of post offices shutting down across the country in an apparent effort to disenfranchise voters. What does Donald Trump’s success in undermining democratic governance reveal about the state of the U.S. political system and U.S. democracy in the 21st century?

Several factors converge in the actions of Trump’s choice to undermine the postal service. One is the narrow concern with the elections. Republicans know that they have a problem. They’re a party of a shrinking minority. They cannot approach voters with their actual policies of unstinting service to extreme wealth and corporate power, and therefore have to mobilize voters on so-called “cultural issues,” not a very secure stand. To hold onto office, they have to resort to such devices as massive purging of voters to ensure that the “wrong people” don’t contaminate the elections, a remarkable story exposed by investigative journalist Greg Palast. Slowing mail service might open the door to challenges to the election if they can’t steal it by other means.

But there are deeper reasons that we’ve discussed before. The modern Republican party has a visceral hatred of the [U.S.] Postal Service, for good reasons. It is a highly efficient government institution, a fact that can give voters the subversive idea that government might be of, by and for the people. It offers no opportunities for private profit and performs major services to the population, and could do a great deal more if it were freed of congressional malevolence. These are lessons that have to be kept from the eyes of the dangerous masses. Even worse, the worshipers of the so-called founding fathers might not be able to continue to suppress the fact that they conceived of the postal service as a subsidy to a free, independent press; anathema.

The implications for what remains of democratic governance after 40 years of the neoliberal assault, enhanced by Trump’s wrecking ball, need hardly be elaborated.

Trump has tried to use the coronavirus pandemic in a way that serves his reelection purposes, rather than the interest of the American public. With coronavirus cases hitting new records almost daily, isn’t it possible that he may use COVID as a means to bolster his suggestion for postponing the November election?

He is desperate enough to try almost anything. And he’ll have plenty of support. Business leaders may cringe at Trump’s antics. That’s especially true for those who like to present themselves as humane and cultivated managers of “soulful corporations” in ‘50s rhetoric, regularly recycled when needed to overcome “reputational risks.” But as long as Trump recognizes where real power lies and follows the rules, they prefer him to uncertain alternatives that might be subject to pressures from people who care about the common good.

As Joe Biden bends to activist pressures and rises in the polls, the true Masters of the Universe are becoming increasingly alarmed. Front-page headlines tell us that “Investors Start to Ask: What if Biden Becomes President?” The stories report that investors are concerned that the gravy train may be slowed down if their champion is kicked out.

Fossil fuel industries are particularly worried. A headline in the Texas press reads “Oil donors flock to Trump as Biden hardens climate stance.” It reports that they “are writing checks to President Donald Trump with greater zeal than they did four years ago, as Biden campaigns on a climate plan that seeks to eliminate carbon emissions by mid-century,” possibly earlier, along with his $2 trillion program to address some of the many problems that have to be dealt with — not enough, but a substantial step forward.

Many polls indicate that Trump is trailing Biden by double digits. What could possibly happen between now and November that could turn the race around?

It’s anything but a sure thing. Election tampering is a huge industry. Massive campaign funding in the last days can have a major effect, as seems to have happened in 2016. The leading specialist on campaign funding, Tom Ferguson, found that a “dual wave of money” for both president and Senate had a substantial and probably decisive impact in the final days of the ‘16 campaign. We’ve already discussed the possibility that Republican interference with mail balloting might muddy the waters. Apart from all of these devices to undermine the limited integrity of elections, Trump is quite capable of an “October surprise.” It’s not hard to conjure up a variety of options. This is no time for letting one’s guard down, beguiled by dubious hopes.

This interview has been lightly edited for clarity.

C.J. Polychroniou is a political economist/political scientist who has taught and worked in universities and research centers in Europe and the United States. His main research interests are in European economic integration, globalization, the political economy of the United States and the deconstruction of neoliberalism’s politico-economic project. He is a regular contributor to Truthout as well as a member of Truthout’s Public Intellectual Project. He has published several books and his articles have appeared in a variety of journals, magazines, newspapers and popular news websites. Many of his publications have been translated into several foreign languages, including Croatian, French, Greek, Italian, Portuguese, Spanish and Turkish. He is the author of Optimism Over Despair: Noam Chomsky On Capitalism, Empire, and Social Change, an anthology of interviews with Chomsky originally published at Truthoutand collected by Haymarket Books.




Herman Sandman – Bob Dylan: Kovvie in ‘t Zielhoes

Zo schrijft de een over een optreden van Paul Simon in Haarlem, schrijft een ander over Bob Dylan die niet in Haarlem optrad en word je gewezen op het verhaal van Herman Sandman over een fietsende Dylan in het noorden van Groningen

Herman Sandman:

Bob Dylan, dé Bob Dylan, bracht tijdens Europese tournees wel eens een bezoekje aan het noorden van Groningen. De beroemde Amerikaanse singer/songwriter ging dan fietsen in de buurt van Noordpolderzijl. Hij vond het Hogeland mooi. De streek, het landschap, deed hem denken aan het gebied waar hij vandaan kwam, Duluth, Minnesota.
Het klonk te mooi om waar te zijn. Tot ik enkele weken later met Douwe van der Bijl in café De Drie Uiltjes zat. Douwe toonde zich een Dylan-fan en ik vertelde wat ik had gehoord.
‘Hm,’ zei hij.
Daarop kwam hij met een nog mooier verhaal.

Henk Scholte, onze Henk Scholte, in stad en ommeland bekend als verhalenverteller en folkzanger, was op een goede dag in Noordpolderzijl en stapte ’t Zielhoes binnen.
‘Hou is t?’ vroeg Henk aan de waard, de fameuze (inmiddels overleden) Siert van Warner.
‘Rustig,’ was het antwoord, ‘d’r zit allenig n gekke Amerikoan aan de bar kovvie te drinken.’
Waarop de blik van Scholte richting hoek van de bar ging en hij bijna een hartverzakking kreeg.
Bob Dylan.
Scholte begon vervolgens tegen de kroegbaas uit te varen: ‘Dat is gain gekke Amerikoan. Waist die wel wel dat is??!! Dat is Bob Dylan!!!’
Van Warner was bepaald niet onder de indruk: ‘Dat kin mie hailemoal niks schelen. As hai zien kovvie moar betoalt.’

Deze anekdote verscheen in Kleintje Boek & Wereld, uitgegeven door AFDH Uitgevers, Enschede/Doetinchem 2015.

Op zijn blog publiceerde Sandman in 2015 deze anekdote in het Engels. Met een extraatje. Als journalist wil Sandman natuurlijk weten of het verhaal wel op waarheid berustte. De eenvoudigste manier om daarachter te komen, was een berichtje aan Bob Dylan sturen.

Na een tijdje kwam het antwoord. Van meneer Dylan zelf.
[…] I remember riding past places with names like Usquert, Stitswerd en Zandeweer. We had coffee in a café with a strange owner. He just sat there. But you know, I still liked it there, because it was the first place where people didn’t gaze at me. As I was paying for the coffee I sensed that he didn’t trust me at all, not knowing who I was. And yes, you are right: next, a white bearded man came in. A fifty- year old Jesus lookalike with a hangover. ’A druid’, I guessed. […]

Het volledige verhaal is hier te vinden: http://herman-sandman.blogspot.com/2015/02/bob-dylan-loves-cycling-in-holland.html

Nu we toch bezig zijn. Er doet een verhaal de ronde dat een mevrouw een strandwandeling maakte in Oostende. Ze ontmoet een meneer. Ze raken in gesprek en gaan uiteindelijk koffiedrinken. Die meneer was Bob Dylan.
Of die mevrouw zich even wil melden.

1992. Duinkerken. Anneke Hoftijzer en Bob Dylan

4 augustus – Een dag later:

Riep ik gisteren op tot een speurtocht in Vlaanderen, vandaag kan iedereen weer rustig naar huis.
Een paar uur naar de oproep meldde Martin Smit dat de mevrouw in kwestie Anneke Hoftijzer heet. Zij kwam Bob Dylan in 1992 tegen in Duinkerken. Niks Oostende.

In het boek Encounters with Bob Dylan. If You See Him, Say Hello (Humble Press, San Francisco, 2000) staan een veertigtal toevallige ontmoetingen met Dylan, soms met fotografisch bewijs.
Ook het verhaal van mevrouw Hoftijzer staat in dit boek. Zij vertelt dat ze in 1992 tijdens een wandeling door Dylan werd aangesproken met de vraag of zij de jongeman die foto’s van hem maakte, wilde vragen daarmee te stoppen. In de veronderstelling dat de jongeman bij mevrouw Hoftijzer en haar zus hoorde. Als duidelijk is dat de fotograferende jongeman niet bij de twee zussen hoort, biedt Dylan zijn excuses aan en nodigt hen uit voor een drankje.
Als mevrouw Hoftijzer na 25 minuten opstaat om afscheid te nemen, staat ook Dylan op, kijkt haar aan en zegt: ‘You know, I really like you.’
In de woorden van mevrouw Hoftijzer: ‘Then he kissed both my hands and bid us farewell. I have to say, it took me several weeks to get over it.’
Dat ze vier jaar later Dylan tegen het lijf loopt tijdens een wandeling in Magdeburg is een ander verhaal.

Zie ook:
http://rozenbergquarterly.com/paul-simon-en-de-lage-landen/
http://rozenbergquarterly.com/bob-dylan-in-haarlem/




If The Fed Can Bail Out Wall Street, It Can Rescue Public Education

Prof.dr. Gerald Epstein

Public education in the U.S. has been under severe attack for many years now, thanks to the dominance of neoliberal thinking and policies across the societal spectrum. However, the coronavirus pandemic has sparked a new crisis in the nation’s public education system as a result of having created huge holes in school budgets, especially in high-poverty areas. Yet, there are ways to prevent the collapse of the public education system in the U.S., if there is a will to do so. And the rescue can come directly through the power of the Federal Reserve, according to leading progressive economist Gerald Epstein, professor of economics and co-director of the Political Economy Research Institute at the University of Massachusetts at Amherst. In this exclusive interview for Truthout, Epstein discusses how the COVID-19 crisis has exacerbated funding deficits for public education and how the Federal Reserve can step in to save schools.

C.J. Polychroniou: Is the crisis facing public education systems today simply a question of the fall-off in tax revenues on account of the pandemic?

Gerald Epstein: The shortfall is not due only to the fall-off in revenues, though that is a significant part of it. It is also because of the large extra costs that schools and universities will face to operate safely in the COVID world: the extra spacing, cleaning, masks, technology needs, and so on. No one knows exactly how much these extra costs will amount to, but various organizations have estimated them to be somewhere between $116 billion and $245 billion.

These immediate problems are made immeasurably worse in many school districts and for many colleges because of longstanding funding shortfalls facing public education, K-12 and higher education. Many school systems — and especially those in poor communities, communities of color and rural communities — have been faced with serious cut-backs for more than a decade, punctuated, only occasionally and inadequately, with compensating increases.

Indeed, since the 2007-08 Great Recession, states have been devoting even less money to public education. Is this because of the peculiarities of the current model of education, which essentially leaves matters of funding education largely to the states, or because of the domination of neoliberalism at the federal and state levels?

It is true that public education funding in the U.S. comes primarily from the states and local governments. For example, according to the Center on Budget and Policy Priorities, in 2016, 47 percent of K-12 funding came from the states, 45 percent from local governments, and only 8 percent from the federal government.

This dependence on states and local governments does contribute to inequalities in school funding among states. But, to get to your question about neoliberalism, the neoliberal turn of state governments, led primarily by Republicans, has had a devastating effect on school funding, especially for poorer communities and communities of color. As Gordon Lafer shows in his brilliant book The One Percent Solution, state and local networks funded by the Koch brothers and others were able to elect state and local officials committed to a litany of neoliberal attacks on unions, public and social goods, and the state, all in the interests of corporations. The result in many states was a cut in taxes and education funding, and a push to privatize education through charter schools and similar tricks. There was also an attack on teachers’ unions and public-school teachers’ pay.

These anti-public school measures were greatly exacerbated by the fallout from the Great Financial Crisis of 2007-2009 (GFC), which itself was largely due to neoliberal policies of financial deregulation (which exacerbated long-growing deeper problems in the economy that we have no time to discuss here).

Most states cut school funding severely when the GFC hit; and despite the long (but slow) economic expansion that occurred after the GFC and ended with the pandemic, state funding per student remains below pre-crisis levels. This is especially true of states that cut deeply during the crisis. At the local level, the collapse of the housing market led to a decline in property values in many communities. Since the primary source of local funds for public schools are property taxes, this led to lower local revenues for education. The federal government did increase funding for the states temporarily, but it was not enough and it did not last.
Just prior to the pandemic, some states had finally recovered much of the lost ground in educational expenditures, but many teacher salaries, which had been deeply cut over the neoliberal period, remained below their previous levels and were falling behind wage growth in other professions. In response, there have been a number of teachers’ strikes across the country, where teachers have demanded not only an increase in their pay, but also an increase in funding for their schools. Many of these have been successful.

Similar forces played out with respect to funding of public higher education. State funding of public higher education declined significantly over the last 20 years or more, and students and their families were more and more saddled with the bills. The huge rise in student debt, more than $1.6 trillion worth, is wreaking havoc on a generation of students that has now been confronted with two near-depression level meltdowns in the course of little more than a decade.
The important point is that all these problems were there prior to the onset of the pandemic. Now they have been greatly exacerbated.

You have come up with a proposal to use the Federal Reserve to rescue public education in the U.S., called the Federal Reserve Public Education Finance Facility. Can you briefly explain what it would do?

The motivation for my proposal is that public education — K-12 and public higher education — is facing massive financial shortfalls from the COVID crisis on top of all the financial problems many institutions had been facing even before the crisis hit. The Republican-controlled Senate under the leadership of Mitch McConnell has expressed very little support for giving states and local governments the help they need. In fact, in the Senate Republican bill that was released on July 28, there is basically no funding for state and local governments, whereas the HEROES Act had $1 trillion earmarked, and only $105 billion for K-12 and higher education. Even if this gets increased through negotiation with Democrats, it is unlikely to fill the holes in the public education budget.

Knowing this, political scientist Dean Robinson — a colleague of mine who is on the National Education Association and on the board of directors of the Massachusetts Teachers Association — told me he is concerned that direct federal stimulus is falling far short of requirements, especially for the public sector, given that the Republican-led Senate can curtail whatever the Democratic-led House offers by way of a package (this has been borne out). Given the historic intervention that the Fed is making with respect to private debt, he said he wonders whether we could reimagine a type of bond under the Fed’s expanded facilities.
I told him I would look into this question. And the short answer is yes. There is a lot the Fed is already doing for Wall Street and corporate bond holders, hedge funds and private equity firms. If the Fed can do all that, then there is certainly a lot more it could do for students and teachers who are likely to find themselves in deep austerity mode.

So, first, some background: The Federal Reserve, the United States’ central bank, has promised to provide a huge amount of credit — “whatever it takes” as Jerome Powell, the Fed’s chair, put it — to keep the U.S. economy afloat through the national emergency of the COVID-19 crisis. This pledge follows by just a decade the massive amount of credit the Federal Reserve provided during the Great Financial Crisis of 2007-2009 to avoid a global financial meltdown. In that episode, the Fed used the money to mostly bail out mega-financial institutions like Goldman Sachs, Citigroup, Wells Fargo and AIG, whose very actions had caused the meltdown in the first place. The estimates for the amount of credit provided run from $12-22 trillion. Virtually none of this was provided to workers, small businesses or homeowners who were about to lose their homes.
This time around, when funds were being appropriated in Congress under the CARES Act to underwrite special Federal Reserve financial support for the economy, congressional Democrats, unions and other pro-worker organizations lobbied to make sure that some of that Federal Reserve money would be allocated to small business and workers. At the same time, they made sure that funds would be available to states and local governments that would be facing catastrophic losses in revenue from the crisis.

The result of this labor union and Democratic pressure was the creation of a Municipal Liquidity Facility (MLF) whose purpose is to help support state and local government borrowing so they can provide important services, including public education, during the crisis. The U.S. Treasury seeded this facility with $35 billion in capital. On this basis, the Federal Reserve has the capacity to lend out up to $450 billion to state and local governments.
Unfortunately, only one state, Illinois, has borrowed from this facility so far. The lion’s share of the funds is just sitting there, unused.

Why? The answer is that the Fed put so many restrictions on the use of funds and made them so expensive, that the other states and municipalities are finding they cannot benefit from the funds, even while many of them are in the process of planning massive cuts to programs, including education.

There are three constraints here. One is how long the funds can be borrowed for (the term). The maximum length of time for which funds can be borrowed is three years. This is shorter than the terms for other Fed credit actions — some are five years, some are indefinite (i.e., permanent). Three years are not enough for states, municipal borrowers and school districts to get through the crisis without devastating cuts and then find the funds to repay the loan from the Fed (or to find some financial institutions to buy the debt at a reasonable cost). A much longer maximum available term will be necessary to make this useful — 5 to 10 years.

Second, the cost of borrowing is way too high. The Fed evidently wanted their facility to be used only as a last resort and they succeeded all too well. The Fed is charging 3, 4, 5 percent interest rates when interest rates on federal government short-term debt is close to zero. The Fed should lower the cost of borrowing for states and municipal governments from this facility much closer to the Fed’s policy rate, which is close to zero.
Some progressive Democrats and pro-worker organizations such as unions were able to get these improvements into the follow up “stimulus bill,” the HEROES Act. These provisions passed but now the bill is blocked because the Senate is refusing to take it up.

A third problem centers on how the states borrow. Most states must balance their “current” budgets, year to year. Current budgets reflect year-to-year costs like wages, services, and so forth. On the other hand, most states are allowed to borrow on their “capital” budgets for longer-term investment, such as building bridges, highways and school buildings. These capital budgets have limits of course, but they are less binding than the requirement to balance the current budget year by year. In this situation, most states limit very severely the degree to which they can borrow to pay teacher salaries and other educational expenses.

Is there a fix for this problem? In my proposal, I suggest that states and school districts issue “Human Capital Bonds” to pay teachers’ salaries and other current educational expenses. Economists have long recognized that among its other important benefits, education represents a long-term investment in developing a human’s capacities for achievement. This is a creation of “capital,” using mainstream economists’ term for it, that has long-term payoffs for not only that individual but for society as a whole. At least a portion of such expenditures, especially in a crisis such as this, can and should be put under the capital budgets of states and state authorities.
Purchasing of these bonds by the Federal Reserve would give a legitimacy and stamp of approval to these new financial instruments, and would make it much more likely that these would receive a good credit rating and not harm the overall credit rating facing the state, a prospect that deeply worries state treasurers and politicians.

What other institutions and interests that will be competing for access to these funds? How could we ensure that public education receives its proper due in a country where neoliberalism still reigns supreme?

First of all, this competition among various constituencies in states and municipalities for budget expenditures, and then also for Federal Reserve funds, is a natural part of the political process. There are many critical needs emerging in this massive pandemic economy, which has greatly worsened pre-existing inequalities and accumulated disinvestment and failings.
But borrowing from the state and municipal bond markets is one that is especially foreign to public education, apart from building schools and dorms and gyms. Even if the states were to borrow from the Fed facility, public education, a newcomer in this field, is likely to get substantially crowded out by the big infrastructure, development and medical operators who are experienced in this space.
That is one of the reasons I proposed a special Fed facility just for funding public education: The Federal Reserve Public Education Emergency Finance Facility. This facility would dedicate Federal Reserve funds to lending money for public education to states, municipalities and school districts, at low interest rates and long terms. It would be a welcome buyer of human capital bonds from states that want to issue them to fund education during this crisis. This way, public education would not have to compete with the big and experienced capital market borrowing state, municipal developers and other borrowers.

In your view, how would you assess the chances of your proposal rescuing public education in the post-COVID era?

Well, I hope it is not needed. It would be far better to have the federal and state governments properly fund public education. In the current crisis, it would be much better to have the federal government give billions of dollars of budget support for state and local governments to fund necessary services and investments, such as public education.
But if there is not enough federal aid forthcoming, then a plan B is necessary to prevent a near collapse of our public education system. I think there is a decent chance that through the active work of unions and Democratic congressional leaders, the Federal Reserve will eventually loosen up its requirements and make funds more available for state and local support, including for education. We must try to organize and lobby the Federal Reserve and, more specifically, the Regional Federal Reserve Banks, 12 all over the country, to loosen their restrictions and lower the costs of credit for states and municipalities, and to make the credit longer term. This is what they are doing for banks and hedge funds. They should end or cut way back on their support for Wall Street and, instead, help the public, the workers and unemployed and core social functions like public education. The money is there! It has already been set aside by the Federal Reserve. And they can easily create more in this era of high unemployment and rock-bottom interest rates. What are they waiting for? We have to make them use it, and use it to serve the needs of the people, and not the banks.

This interview has been lightly edited for clarity.

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C.J. Polychroniou is a political economist/political scientist who has taught and worked in universities and research centers in Europe and the United States. His main research interests are in European economic integration, globalization, the political economy of the United States and the deconstruction of neoliberalism’s politico-economic project. He is a regular contributor to Truthout as well as a member of Truthout’s Public Intellectual Project. He has published several books and his articles have appeared in a variety of journals, magazines, newspapers and popular news websites. Many of his publications have been translated into several foreign languages, including Croatian, French, Greek, Italian, Portuguese, Spanish and Turkish. He is the author of Optimism Over Despair: Noam Chomsky On Capitalism, Empire, and Social Change, an anthology of interviews with Chomsky originally published at Truthoutand collected by Haymarket Books.




Bob Dylan in Haarlem?

Cobi Schreier (1922 – 2005)

In het artikel Paul Simon en de Lage Landen van Robert-Hank Zuidinga (Rozenberg Quarterly – 3 juli j.l) viel de naam van Cobi Schreier (1922-2005). Als uitbaatster van Taverne De Waag in Haarlem organiseerde ze in 1964 het eerste optreden van Paul Simon in Nederland. Niet Paul Simon, maar Bob Dylan was de aanleiding van het bezoek dat ik haar in 2000 bracht in het Rosa Spierhuis in Laren.

Op 27 september 2000 zou Bob Dylan weer eens optreden in Ahoy in Rotterdam. Een week eerder vond in de Melkweg de manifestatie ‘Bob Dylan moet de Nobelprijs krijgen’ plaats.
Met Huib Schreurs (De Groene), Cor Schlösser (Melkweg), Bert van der Kamp (Oor), Roel Bentz van den Berg en Theodor Holman zat ik in het organiserend comité. Het werd een lange, onvergetelijke avond, met muzikale omlijsting door o.a. Freek de Jonge, CCC Inc., Henk Hofstede, Rick de Leeuw en J.W. Roy & Band. Tal van schrijvers, dichters en journalisten hielden die avond een pleidooi waarom juist Dylan de Nobelprijs verdiende.[1]
NRC Handelsblad wilde daarom die week wel aandacht besteden aan Bob Dylan. Mijn goede vriend Ed, die wel eens een artikel schreef voor de NRC, kreeg de vraag of hij niet iets leuks wist voor een stukje op de achterpagina van die aanstaande 27 september, de dag van Dylans optreden. Ons kwam ter ore dat Cobi Schreier mogelijk een leuk verhaal over Dylan wist te vertellen. Ze zou in de jaren zestig nauw betrokken zijn geweest bij een mogelijk optreden van Dylan in Nederland. Reden dus om haar op te zoeken.

Folkcafé
In haar appartementje in het Rosa Spierhuis luisterden we die middag vijf uur lang naar een enthousiast vertellende Cobi Schreier. In min of meer chronologische volgorde kregen we haar hele levensverhaal te horen, doorvlochten met talloze anekdotes. Plakboeken werden uit de kast getrokken, elpees en singletjes tevoorschijn getoverd en gedraaid.
Voor de oorlog trad Cobi op zestienjarige leeftijd al op voor de VARA-radio. Zichzelf begeleidend op gitaar zong ze liedjes uit de Disneyfilm Sneeuwitje. Na de oorlog legde ze zich toe op oude ballades en volksliedjes en trad ze op voor de VARA en AVRO. Haar ideaal was een cafeetje te beginnen waar allerlei artiesten zouden kunnen optreden. In 1962 kreeg ze de kans De Waag in Haarlem over te nemen. Het was een klein zaaltje, er pasten hooguit honderd mensen in. Onder meer via folkicoon Pete Seeger en contacten in Londen wist ze – toen nog onbekende – folkartiesten naar Haarlem te krijgen voor optredens in De Waag zoals Paul Simon, Alex Campbell, Bert Jansch en Martin Carthy. Ze was geabonneerd op het Amerikaanse folktijdschrift Sing Out! Op die manier raakte ze vertrouwd met het repertoire van Phil Ochs en Joan Baez. Soms vertaalde ze songs om ze zelf in De Waag te kunnen spelen. Lennaert Nijgh was in De Waag vaste gast en een jonge Boudewijn de Groot kreeg de kans er op te treden.

Pete Seeger

Pete Seeger
Contact met Pete Seeger? Hoe kwam dat tot stand? In opdracht van de Ohio Recreation Service maakte ze in 1958 een EP met een aantal Nederlandse volksliedjes, bedoeld voor de Nederlandse gemeenschap in Ohio. Op de B-kant van het plaatje stonden de liedjes in Engelse vertaling. Op de een of andere manier was een exemplaar in handen van Seeger gekomen.
Toen hij in 1964 optrad voor studenten in Leiden, belde hij Cobi op met de vraag of hij in De Waag kon optreden. Op uitnodiging van Seeger bezocht ze hem later in Londen, alwaar hij haar meetroonde naar de folkclubs The Troubadour en de Singers Club. Ze zag er Ewan McColl, de aartsvader van de Engelse folkrevival, Martin Carthy & Dave Swarbrick, Bert Jansch, de Amerikaan Mark Spoelstra en Paul Simon.

Elektrische begeleiding
In 1964 trad de volstrekt onbekende Paul Simon op in De Waag. Geld voor een hotel had hij niet dus sliep hij bij Cobi thuis op de bank. Later, toen hij al wereldberoemd was, bleven ze contact houden. In de jaren zeventig trad hij op in het Concertgebouw. Hij belde Cobi en op zijn uitnodiging zat ze op de eerste rij.
Volgens Cobi zat Simon in 1965 bij haar thuis toen Art Garfunkel hem belde en hem vertelde dat hun song The Sound of Silence door producer Tom Wilson opnieuw was gemixt en uitgebracht, maar… Wilson had er zonder hun medeweten elektrische begeleiding onder gezet.
Mogelijk waren Cobi’s herinneringen bij dit verhaal in de loop der jaren toch enigszins vervaagd. Min of meer hetzelfde verhaal is namelijk bij andere bronnen eveneens te vinden.

Bob Dylan – Royal Albert Hall 1966

Royal Albert Hall
En dan Bob Dylan. In 1966 regelde Cobi via haar contacten met de VARA een optreden van de Amerikaanse blues en folkartieste Odetta op de Nederlandse televisie. Ook zou ze in De Waag spelen. Bob Dylan, op dat moment op tournee in Engeland, hoorde via zijn tourmanager (die hij deelde met Odetta) de hoogte van het gage wat de VARA Odetta zou betalen. Daarop belde de tourmanager Cobi: ‘Kunnen wij met Bob Dylan naar De Waag komen?’ Enkele dagen later belde de manager af. Het ging niet door en Cobi werd afgescheept met een optreden van The Liverpool Spinners.
Omdat tourmanager Derek White duidelijk iets goed te maken had, bood hij Cobi aan het optreden van Dylan in de Royal Albert Hall op 26 mei 1966 bij te wonen. Ze mocht eerste rij zitten en na afloop van het optreden backstage komen. Het was Dylans beruchte tour waarop hij elektrisch ging: voor de pauze speelde hij een akoestische set, na de pauze elektrisch met The Hawks (later The Band) als begeleiders. Backstage was het een heksenketel. Bij de kleedkamers trof Cobi Simon Vinkenoog aan die had gedacht voor de Televizier wel even een interview met Dylan te kunnen maken. Niemand kreeg echter de kans Dylan te spreken. Hij gaf zijn gitaar af en sprintte naar een gereedstaande auto.

Speurtocht
Het stukje voor de achterpagina van de NRC ging uiteindelijk niet door. Ook bij dit verhaal bleken Cobi’s herinneringen mogelijk iets te gekleurd. Enige ongeloofwaardigheid doemde hier op: in onze speurtocht naar meer gegevens over het eventuele optreden van Dylan in Nederland, bleken data niet te kloppen en andere gegevens oncontroleerbaar. De vraag is ook of Bob Dylan tijdens deze tournee, die hem al naar Australië, Zweden en Denemarken had gevoerd, zat te wachten op een optreden in Nederland. Het concert in de Royal Albert Hall was het laatste van de tour. Twee maanden later kreeg Dylan een mysterieus motorongeluk en trok hij zich terug in Woodstock.
Het eerste concert van Bob Dylan in Nederland vond plaats op 23 juni 1978 in De Kuip in Rotterdam.
Het organiseren van onze manifestatie werd uiteindelijk beloond: in 2016 kreeg Bob Dylan de Nobelprijs voor literatuur toegekend.

Noot:
[1] Op de manifestatie Bob Dylan moet de Nobelprijs krijgen, werden voordrachten, gedichten, pleidooien en optredens verzorgd door Bert van der Kamp, Geert Mak, Theodor Holman, Elsbeth Etty, Gijs Schreuders, Martin Bril, Wim Jansen, Edward van Vooten, Wouter van Oorschot, Simon Vinkenoog, Paul Scheffer, René Boomkens, Matthijs van Nieuwkerk, René Zwaap, Sjoerd de Jong, Freek de Jonge, Pieter Steinz, Colet van der Veen, Thomas Verbogt, Hans Righart, dj Pieter Fransen, Huub Stapel, Gerard Reve (telefonisch vanuit België), Peer de Graaf, Henk Tas, Rick de Leeuw, Ed Korlaar, Henk Hofstede, CCC Inc., J.W Roy & Band, Wouter Planteyd & Band. Vic van der Reyt presenteerde de avond.




XXL: De langste

Christine Lavin – Photo: christinelavin.com

7 (Prince and The New Power Generation), Du (Peter Maffay), Now (Dave Berry), Love (Paul Simon): korte songtitels zijn er zat. Interessanter is de vraag naar lange titels, met als hoogtepunt natuurlijk de langste songtitel uit de popgeschiedenis.

Nu lijkt lengte een objectief criterium, in tegenstelling tot persoonlijke voorkeur voor een nummer, een arrangement of het uiterlijk van een artiest. Om al te grote onenigheid te voorkomen, is het daarom wellicht wijs een paar regels aan te houden:
a. alleen letters en cijfers tellen mee, dus geen leestekens en spaties, en
b. een gedeelte tussen haakjes telt ook niet mee (waarmee een flink deel van het Verzameld Werk van Bob Dylan al afvalt).

Een voorbeeld: titelkandidaat is zeker het woordspelige If I said you had a beautiful body would you hold it against me van the Bellamy Brothers, uit 1979. Die zou op 65 tekens uitkomen, als er geen verwarring bestond over het deel na ‘body’. Dat komt in de vakliteratuur – Top 1000-lijsten, pop-encyclopedieën – namelijk in twee versies voor: wèl – dan zijn het 50 tekens – en níet tussen haakjes: 63.

De belangrijkste bron van informatie tegenwoordig, het internet, levert ellenlange lijsten van ellenlange titels op, maar die zijn zonder uitzondering van obscure nummers van obscure bands of artiesten, of zijn alleen maar bedoeld om in het Guinness Book of World Records te komen.
Interessant is trouwens, dat het Guinness Book het in de jazzhoek zoekt. Als langste wordt daar een titel genoemd van pianist en bandleader Hoagy Carmichael, die mijn eeuwige adoratie verworven heeft voor het nummer Stardust, maar die ook de bedenker blijk te zijn van de tonguetwister I’m a Cranky Old Yank in a Clanky Old Tank on the Streets of Yokohama with my Honolulu Mama Doin’ Those Beat-o, Beat-o Flat-On-My-Seat-o, Hirohito Blues uit 1942.
Het nummer van pak ‘m beet een minuut lang, werd, ondanks zijn titel van 127 tekens, nog een bescheiden hitje in de uitvoering van Bing Crosby, maar is als langste titel al lang achterhaald.
De langste telt namelijk 385 tekens en staat op het album Future Fossils (1987) van de Amerikaanse zangeres Christine Lavin:

Regretting What I Said to You When You Called Me 11:00 On a Friday Morning to Tell Me that at 1:00 Friday Afternoon You’re Gonna Leave Your Office, Go Downstairs, Hail a Cab to Go Out to the Airport to Catch a Plane to Go Skiing in the Alps for Two Weeks, Not that I Wanted to Go With You, I Wasn’t Able to Leave Town, I’m Not a Very Good Skier, I Couldn’t Expect You to Pay My Way, But After Going Out With You for Three Years I DON’T Like Surprises!! Subtitled: A Musical Apology.

Rednex

Ook overdreven uitgerekt is deze, van de Zweedse groep Rednex:

The Sad But True Story Of Ray Mingus, The Lumberjack Of Bulk Rock City, And His Never Slacking Stribe In Exploiting The So Far Undiscovered Areas Of The Intention To Bodily Intercourse From The Opposite Species Of His Kind, During Intake Of All The Mental Condition That Could Be Derived From Fermentation: welgeteld 254 tekens.

Nog zo’n nummer waarvan de titel langer is dan de tekst: Long Live British Democracy Which Flourishes and Is Constantly Perfected Under the Immaculate Guidance of the Great, Honourable, Generous and Correct Margaret Hilda Thatcher. She Is the Blue Sky in the Hearts of All Nations. Our People Pay Homage and Bow in Deep Respect and Gratitude to Her. The Milk of Human Kindness, van het Londense Test Dept, komt tot 267 letters. Het staat op het album A good night out uit 1987.

De band Paracoccidioidomicosisproctitissarcomucosis uit Mexico, producent van albums als Cunnilingus (2001) en Satyriasis and Nymphomania (2002), bedacht onder meer het enigszins onvertaalbare Uroporfironogenodescarboxilandome y pustulandome con tu anorgasmita exaclorobencenosisticarial sexo traumatizante (105 tekens).
De Amerikaanse grindcore band Anal cunt wist er ook weg mee. Toch al vaardig in het vinden van provocerende titels van normale lengte – Hitler was a sensitive man, I sent concentration camp footage to Americas Funniest Home Videos en I hope you get deported -, waren de leden extra creatief als het lekker lang moest zijn. Vrouwonvriendelijkheid en homohaat inspireerden tot pareltjes van subtiliteit als Even though you’r [sic] culture oppresses women, you still suck you fucking towelhead (69 tekens), If you don’t like the Village People, you’re fucking gay (47) en I became a counselor so I could tell rape victims they asked for it (54). Hoogtepunt in deze explosie van genuanceerd mensbeeld – The only reason men talk to you is because they want to get laid, you stupid fucking cunt van het album It just gets worse (1999) – is 72 tekens lang.

Een wèl als vermakelijk bedoelde titel kwam van de hand van Barry Mann, de mannelijke helft van het songwriter-duo dat hij vormde met zijn vrouw Cynthia Weil en dat hits voorbracht als You’ve lost that lovin’ feelin’ en Saturday Night at the Movies.
In 1968 bracht hij een single uit getiteld The Young Electric Psychedelic Hippie Flippy Folk and Funky Philosophic Turned-On Groovy 12-String Band. Dat zijn 103 leestekens mèt en 89 zònder spaties.
Het was een persiflage op A simple desultory philippic (or how I was Robert McNamara’d into submission), een eveneens grappig bedoeld nummer van Paul Simon op het album Parsley, Sage, Rosemary and Thyme (1966).

Het wordt duidelijk tijd voor een aanvulling op de spelregels:
c. het moet geen – bedoelde of onbedoelde – onzin zijn (waarmee nòg een deel van het oeuvre van Bob Dylan afvalt) en
d. het moet de titel van een nummer zijn dat een hit geweest is of van een groep of artiest die bekend is of serieus genomen kan worden.

Geen bekendere bands dan the Beatles en the Stones. The Fab Four komen maximaal tot 48 tekens met Everybody’s got something to hide except me and my monkey, van het dubbel-album The Beatles (1968), beter bekend als the White Album. En the Stones raken niet verder dan de 46 tekens van Have you seen your mother, baby, standing in the shadow? uit 1966. En ook The Under Assistant West Coast Promotion Man (1965) komt tot slechts 38.
Nee, dan Pink Floyd. Several Species of Small Furry Animals Gathered Together in a Cave and Grooving With A Pict, een nummer van Roger Waters op het album Pink Floyd Works (1983), telt 76 tekens.

Even tussendoor: ook het palindroom heeft zijn weg naar de titels van popsongs gevonden. Een palindroom is een woord of naam dat van voor naar achter hetzelfde is als van achter naar voor. Een mooi voorbeeld uit de popcultuur is een album van de Amerikaanse groep Soundgarden. Die bracht in 1992 het dubbel-album Badmotorfinger uit, waarvan deel 2 onder de naam Satanoscillatemy-metallicsonatas, ook bekend als SOMMS.
Daarbij vallen Olé ELO uit 1976 van het Electric Light Orchestra (ELO) en Aoxomoxoa (1969) van The Grateful Dead in het niet. Om nog maar te zwijgen van SOS van ABBA, welke naam zelf ook weer een palindroom is.

Terug naar de langste titels. De Britse groep the Faces veroverde, toen ze al lang niet meer The Small Faces heette, het record voor langste titel van een hitsingle met het 144 c.q. 116 tekens tellende You Can Make Me Dance Sing Or Anything Even Take The Dog For A Walk, Mend A Fuse, Fold Away The Ironing Board Or Any other Domestic Short Coming. Het werd uitgebracht onder de naam Rod Stewart and the Faces – ook Ron Wood maakte daar nog deel van uit voor hij overstapte naar the Stones – en bereikte rond Kerstmis 1974 de 12de plaats in de Engelse top-40. Voor de volledigheid dient vermeld, dat de titel ook voorkomt in een versie waarbij het deel vanaf Even Take The Dog tussen haakjes staat.
Mooie voorbeelden zijn ook nog de albums 3 years, 5 months & 2 days in the life of… uit 1992 van de Amerikaanse band Arrested Development, met 42 dan wel 32 tekens, en It takes a nation of millions to hold us back (1988) van de New Yorkse hip hop-group Public Enemy: 46 tekens mèt en 36 tekens zonder spaties.

Een notoir liefhebber van lange titels is Meatloaf. Alleen al op zijn meesterproef, Bat out of hell (1977) staan You took the words right out of my mouth (Hot summer night) (32 tekens, zònder het deel tussen haakjes), All revved up with no place to go (26) en natuurlijk Paradise by the dashboard light (27). Maar ook op Bat Out of Hell II: Back Into Hell (1993) weet hij van wanten: Objects in the Rear View Mirror May Appear Closer Than They Are telt er 52, en Good Girls Go to Heaven (Bad Girls Go Everywhere).

In Nederland kom je al gauw terecht bij the Golden Earrings, want zo heetten ze nog toen. Just a little bit of peace in my heart is 30 tekens lang en I’m going to send my pigeons to the sky, van het album Golden Earring (1970), slechts 31.
Kampioen van de Lage Landen, echter, is Tröckener Kecks, bekend van frontman Rick de Leeuw. Op>TK, uit 2000, staat Zou Je Niettegenstaande De Recente Gebeurtenissen Toch Nog Een Verblijf Op Amoureus Gebied In Overweging Willen Nemen Alsjeblieft, en die telt 112 tekens. Zonder spaties!
Daarmee vergeleken is Boudewijn de Groots Ballade voor de vriendinnen van een nacht met 35 tekens maar minimaal.

Maar er is geen ontkomen aan: hoe veel van zijn titels er ook afvallen, Meester van de Lange Titel blijft Bob Dylan. Een kleine keuze uit zijn grote oeuvre, willekeurig maar in oplopende mate van onbegrijpelijkheid: I’d hate to be you on that dreadful day (van The Bootleg Series Vol 9: The Witmark Demos 1962-1964, uit 2002) – 31 letters, Stuck inside of Mobile with the Memphis Blues again (op Blonde on Blonde, 1966) – 43 tekens en Talking Bear Mountain Picnic Massacre Blues – van The Bootleg Series Vols 1-3 (1991) – 38 letters
Niet zijn langste maar zeker zijn mooiste: op Highway 61 revisited (1965) staat It takes a lot to laugh, it takes a train to cry: 37 tekens.
Dat is welhaast een liedtekst op zich.